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  • « Projet d’Initiation Prioritaire », Nathalie Blanc, mars 2000

    Exposition à la Galerie Véronique Maxé/Albert Benamou, du 11 mars au 30 avril 2000

    L’attrait pour d’autres matériaux, et techniques de fabrication me poussaient vers de nouvelles voies. En même temps je cherchais à défaire l’objet de son assujettissement à la fonction et du contexte du design, qui ramène la forme à une expression purement décorative.
    Si la forme suit la fonction, la fonction doit être détruite et l’objet rendu orphelin, sans nom, sans famille.
    La forme souveraine doit suggérer des usages et des manipulations, flous, subjectifs, complètement inutiles, poétiques, drôles et imaginaires.
    Le travail du cuir, et des matériaux plastiques, m’a permis d’aborder des savoir-faire nouveaux, et de collaborer avec des fabricants.

    Ce que j’ai intitulé PIP, est un concept global, regroupant plusieurs objets qui n’ont pas un usage défini mais qui inaugurent de nouveaux usages personnels fondés sur le principe de plaisir.
    Les objets du sport sont à mon sens trop techniques, déterminés par une fonction et un but précis, pour présenter a priori un aspect érotique. Il y aurait pourtant des signes favorables, ils sont ergonomiques et en contact régulier avec des parties du corps en mouvement.
    Mon attention s’est portée sur quelques objets en particulier (cheval de saut, ballon ovale, cerceau), débarrassés de leur logique fonctionnelle, il ne restait qu’à se pencher sur le plaisir ludique et sensuel d’une action entre un objet et un individu.
    Dans le contexte que je propose, il n’y a pas de bons ou de mauvais résultats, pas plus de mouvements utiles ou définis. Le seul objectif préconisé est la recherche du plaisir ou plutôt des plaisirs.
    Ces objets sont accompagnés d’un programme de gymnastique, dont j’énonce les principes. Pour stimuler l’utilisateur indécis, je propose quelques exercices physiques sous la forme de croquis descriptifs (de la leçon 01 à la leçon 99)
    Chaque type d’objet est désigné par un jeu. Il y en a cinq au total : le jeu des grands chevaux, le jeu des petites vertus, le jeu des ballons, le jeu des cerceaux, le jeu des chasse-mouches.

    Le jeu des grands chevaux ou les déglingueuses
    Le premier cheval de saut date de 1860, réservé aux hommes de l’armée, il servait à l’apprentissage de l’équitation. Sa forme était plus représentative du corps du cheval, bien que schématique, l’encolure était vaguement dessinée, l’autre extrémité du corps se terminait par une queue. Puis il est devenu un appareil de gymnastique masculin et il n’y a pas si longtemps que la pratique concerne aussi les femmes comme d’ailleurs beaucoup de disciplines athlétiques.
    Je me suis inspirée davantage de la forme originelle du cheval de saut, que de sa forme actuelle. J’ai voulu faire de cet objet, un objet emblématique qui se distingue de l’appareil sportif, rigide et mécanique qui en conserve globalement les proportions, et l’usage, mais dont le sens retrouve des fondements dans l’animalité et le mythe. C’est pourquoi, je ne pouvais imaginer une autre matière que le cuir, traditionnellement utilisée.
    Le mythe est lié aussi à un rêve archaïque, celui du conjointement des deux corps, celui de l’homme et de l’animal, qui incarnerait un idéal de toute puissance alliant force et intelligence.
    Le cheval factice fabriqué à une échelle d’adulte, permet de retrouver ce plaisir de l’enfance d’enfourcher, d’être porté en hauteur, de retrouver les situations des songes de son enfance. Bien qu’en examinant «  la bête » dans les détails, le jeu de gymnastique paraisse être prétexte à inventer, autoriser des fantasmes beaucoup moins innocents.
    La structure de l’objet de caractère masculin, est revêtue d’une forme féminine avantageuse, toutes en rondeurs. Les deux croupes se rejoignent au centre d’une dépression centrale, zone de sensibilité plus fine signifiée par la couleur rose pâle. Les découpes du cuir, le dessin des coutures soulignent les formes anatomiques.
    Il ne fait aucun doute que l’objet soit sexué : phallus qui contient sur ses deux faces, les deux sexes opposés, figurant implicitement dans la relation fantasmatique, imaginaire à l’autre qui est proposée.

    Le jeu des ballons ou les torpilleuses
    On retrouve la même ambivalence esthétique, dans le jeu des ballons ou le double identitaire apparaît synthétisé dans une forme ovale. Le conjointement parfait des deux sexes rappelle notre identité originelle, l’androgyne ou hermaphrodite qui d’après la mythologie grecque avait la forme symbolique d’une sphère. Zeus, agacé par tant de perfection prétentieuse, la divisa en deux. Depuis, l’homme à la recherche de sa moitié manquante est en quête incessante de l’amour fusionnel.
    Les volumes sont sculptés dans un matériau synthétique, mousse dure, puis gainés d’un cuir très souple de façon à épouser parfaitement les galbes lisses. Certains modèles seront moulés en résine.
    Le jeu des ballons installe un lieu d’échange, ludique, affectif, sensuel, entre plusieurs individus, compose une dialectique liée au plaisir tactile et au désir amoureux. Le ballon invite au geste de prendre, saisir, lancer, manipuler mais aussi, caresser, cajoler, garder…
    On constate, dans la culture artistique, la prévalence du sens de la vue sur le sens du toucher. L’objet d’art n’est généralement pas un objet à toucher, encore moins un jouet, qui autorise la pulsion d’appropriation.

    Le jeu des cerceaux ou les ensorceleuses
    D’origine grecque, le cerceau, en airain, figure parmi les jouets du berceau de Dyonisos. Il servait également à des exercices de jonglerie et d’adresse. Xénophon dans  le banquet parle d’un cercle garni d’épées, la danseuse y pénètre par une culbute et en ressort par une autre sans se blesser.
    Le cercle rayonnant ou le cercle dans le cercle est le symbole de l’astre solaire, de l’origine du monde et aussi de l’élément féminin. Le cercle externe, rigide, correspond au corps, le cercle interne, souple, élastique et doux, correspond à l’orifice sensible indéterminé qui marque le passage de l’intérieur vers l’extérieur ou de l’extérieur vers l’intérieur. Le sens de passage dans la manipulation étant indifférent. Les matériaux choisis sont des élastiques de lingerie, des rubans de satin, du cuir d’agneau et de la fourrure de castor.
    L’exercice qui s’y rapporte consiste à plonger dans l’orifice central, traverser de tout son corps, comme une lance ou un poignard effilé, l’hymen sacré ; ultime acte de transgression, qui renvoie au rêve inconscient le plus archaïque, le plus fou…Celui d’une renaissance ou d’un retour à notre existence originelle.

    Le jeu des petites vertus ou les suceuses
    Se présente sous la forme de 5 boîtes lumineuses, contenant chacune, une famille d’objets en verre de différentes tailles et de différentes couleurs. Le mot vertu provient du latin virtus qui signifie fondamentalement la puissance sexuelle, dont la racine est le mot vir. Un homme (homo) n’est un homme (vir) que lorsqu’il est en érection. L’absence de vigueur était la hantise de l’homme romain. Le devoir de l’homme, plus précisément, sa force physique, ses qualités morales et son sexe en érection, forment de façon indivisible, la vertu masculine. Par définition, la vertu n’est pas féminine, l’équivalent dans la culture romaine était la pudeur. Les femmes de « petites vertus » désignent des femmes inconvenantes, sans morale. En appelant ironiquement mes objets phalliques, les petites vertus , j’attribue la « vertu » à la femme impudique.
    Ceci rappelle l’histoire de la déesse impudique, Baubô. A l’embouchure du Méandre, des archéologues exhumèrent un lot de petites statuettes en terre cuite qui les déconcertèrent. Posé directement sur une paire de jambes, le trou du sexe féminin se confond avec un large visage vu de face. Sur ces figurines, façonnées très grossièrement, les deux bouches du haut et du bas fusionnent. L’ensemble paraît, à la fois, inquiétant et comique.
    L’exhibition du sexe féminin (vulva), plonge « celui qui voit », dans la pétrification de l’érection. Tel est le mythe de Gorgô, de Méduse, de Baubô. L’olisbos était un phallus artificiel, ainsi que le fascinum dont le pouvoir, tel le bouclier réfléchissant de Persée, était de détourner le mauvais œil « fascinateur ».
    Cette chose qui fascine et terrifie, c’est le désir et la perte de soi dans l’autre, en l’occurrence la perte physique du vir, le soi le plus intime de l’homme, le soi est là « où va la main masculine quand le corps se sent menacé », et non à l’intérieur de sa tête. La virilité de l’homme s’engloutit dans la jouissance animale de la même façon que le corps de l’homme disparaît dans la mort. (d’où la petite mort)
    Mes objets sont comme des fascinum, des objets qui expriment la fascination du désir, démultiplié, sublimé, décliné, déguisé en « pièges » ou poupées phalliques….Insolentes, ludiques, elles s’inspirent de Baubô qui retrousse sa robe. «…à la vue de son sexe hirsute, Déméter éclata de rire, et repris enfin goût à la vie. »

    Le jeu des chasse-mouches ou les dompteuses
    Chasse- mouches pour chasser les esprits, conjurer le mauvais œil, caresser ou fouetter les corps. Des crinières vigoureuses jaillissent de simples manches en bois, des chevelures ondoyantes évoquent la chevelure de serpents de Méduse.
    Les objets fétiches réalisés avec des cheveux possèdent le pouvoir d’ »inquiétante étrangeté » : ni mort, ni vivant, ils peuvent donner la chair de poule.
    Comme ces boucliers d’un peuple primitif sur lesquels étaient cousues des touffes de cheveux de leurs ennemis. La tresse coupée est à l’origine de rituels souvent funèbres.
    Le cheveu, d’une sensibilité exceptionnelle est pourtant quasi invulnérable. Sa matière curieusement échappe à la putréfaction, c’est l’une des raisons qui fait que les différentes cultures l’ont investi de pouvoirs magiques. Sa vitalité inextinguible lui attribue des vertus de courage, de force et de fertilité ; en témoignent le culte rendu aux cheveux longs par les Gaulois, les rois mérovingiens par exemple et l’histoire bien connue, tirée de la Bible, de Samson et Dalila.
    J’ai préféré utiliser le crin de cheval ou le poil animal, comme le poil de yack pour sa tenue et sa dureté. Les poils, nous remettent en mémoire le bestial et notre nature animale. Rassemblés en touffes épaisses et longues, ils sont symboles de vie et aussi de puissance sexuelle, par association logique avec l’animal et particulièrement avec le cheval.
    Il y a un rapport indiscutable entre la pilosité humaine et la sexualité. Les observations de Freud concernant le rôle des poils dans l’élaboration du fétiche le mettent clairement en évidence. Les poils pourraient même être considérés comme le principal substitut fétichiste de la sexualité.